⏱ 4 min de lecture
Photo de couverture © Jesus Abad Colorado, je vous invite à découvrir son travail extraordinaire sur le conflit colombien, une interview de lui.
Je suis né et j’ai grandi dans le Pas-de-Calais en France.
Dans ce département, dans certains coins, il manque les vieilles pierres.
A la place, il y a des cimetières militaires, des stèles dans la campagne, les ruines d’une abbaye bombardée.
2 lieux où mes parents m’ont emmené, très tôt, ce sont les collines de Notre-Dame de Lorette et Vimy à coté d’Arras.
Elles ressortent un peu moins dans les manuels d’histoire à l’école parce que contrairement à Verdun, ici c’était un mélange de français, de britanniques et de canadiens qui se faisaient hacher menus avec les allemands.
A Vimy, le gouvernement canadien a laissé tel quel le sol chaotique, criblé par les trous d’obus et les mines. L’herbe a poussé, entretenue par des moutons car il y a encore des explosifs en dessous. Une forêt de pins représente les soldats décédés. C’est visuel.
Si vous avez l’occasion de passer par Lorette, je vous encourage encore plus à y faire un détour.
Un nouveau mémorial a été construit en 2014, l’anneau de la mémoire.
Désolé pour le spoil, vous y trouverez les noms et prénoms des 580 000 soldats qui sont morts dans le département, dans la boucherie de la 1ère guerre mondiale. La particularité, c’est que les noms sont simplement écrits par ordre alphabétique, sans distinction de nationalité.
Les jeunes MÜLHER sont à quelques lignes des jeunes MEUNIER avec entre deux les jeunes MILLS.
Simple et efficace.
Plus puissant dans mes souvenirs, les larmes de mon grand-père quand il évoquait, rarement, la seconde guerre mondiale. Ce jour où des soldats ont aligné le jeune garçon de 12 ans qu’il était avec son père et d’autres villageois devant un mur.
Quand j’étais petit, il marchait beaucoup pour s’entretenir, parce qu’il avait eu des problèmes de cœur un peu avant et après ma naissance et j’adorais l’accompagner dans la campagne.
Parfois il me montrait une maison, dans cette ferme là un soldat a lancé une grenade dans la cuisine à travers la fenêtre, comme ça.
J’expérimentais, par ses souvenirs, quelque chose de beaucoup plus concret de la violence.
Quelque chose qui est très loin de ce que transmette beaucoup de livres d’histoire ou de documentaires, qui s’attachent à décrire les « grands » moments de « l’Histoire », les leviers géopolitiques, les batailles et leurs généraux.
Quelque chose qui me montrait que la violence est dans nos actes, et nulle part ailleurs.
Et aussi qu’il en faut peu pour qu’elle contamine nos têtes, devienne la norme et se répande parmi nous.
Je suis convaincu, malheureusement, que le cerveau humain dispose d’un piètre pare-feu contre la violence.
Certains esprits sont profondément galvanisés par des idées, d’autres manquent de l’étincelle de remettre en question l’ordre abjecte de tuer, de brûler, de détruire.
Ou parfois quand un seuil d’horreur est franchi, le cercle vicieux de la peur et de la manipulation tue toute initiative de refus de la violence, dans l’œuf.
En voyageant, la violence s’invite souvent dans le cadre.
Elle s’invite dans des lieux de mémoire évidemment, l’histoire des hommes en Amérique Latine, ne diffère pas des autres continents, d’aussi loin que remontent les écrits.
Les conflits entre les civilisations natives, les guerres des Incas envers les autres peuples et tribus dont les noms se sont effacés à jamais.
Les violences et l’asservissement des natifs par les Espagnols et les Portugais venus d’Europe, autre effacements.
Les campagnes de l’horreur du général argentin Roca, au début du 20e siècle, qui rétribuait ses troupes contre les oreilles ou testicules des indiens assassinés.
Les meurtres, les disparations et la torture par les juntes militaires sur tout le continent.
Les charniers de Pinochet.
Les salles de classe de l’école navale de Buenos Aires où la dictature de 1976 à 1983 (soutenue en son temps par les Etats Unis et François Mitterrand), torturait les militants de gauche, avant de les faire disparaître dans le Rio de la Plata.
Les villageois Colombiens morts asphyxiés ou brûlés dans les attentats des FARCS (Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia – Ejército del Pueblo) contre les oléoducs, qui embrasent la forêt.
Les mêmes villageois colombiens massacrés par les milices paramilitaires d’extrême droite AUC (Autodefensas Unidas de Colombia), sous la simple accusation d’avoir laissé passer dans leur champ des combattants d’extrême gauche.
Un jour à Quito, nous avions posé les sacoches dans une pension près du centre pour visiter la ville.
Nous rencontrons un ami de la patronne qui prépare des grillades au rez de chaussée dans une pièce ouverte qui donne sur la rue.
Grand, massif, le crane rasé et les yeux bleu, il est Colombien et ça fait un an qu’il est arrivé en Equateur.
Nous sympathisons, au détour de la conversation, il évoque son village et il fond en larmes dans nos bras. Sans crier gare.
Ses parents ont été assassinés par les paramilitaires, il les as retrouvé découpés en morceaux dans leur maison, les photos sont sur son smartphone.
La douleur de cet homme n’a pas de mesure.
Je suis bien incapable de comprendre ou d’expliquer d’où vient cette violence que nous portons en nous.
Elle est là, c’est une évidence, hier, aujourd’hui et demain.
Quand elle se fait plus rare et plus discrète, nous l’oublions vite.
Heureusement peut être, car comment pourrions nous vivre avec ces images constamment en tête ?
L’homme de Quito un jour, il faut l’espérer, pansera ses blessures et certainement effacera les photos, pour continuer à vivre.
Que pouvons-nous faire ?
Peut être quand les symptômes deviennent clair, de chasser un peu les idées trop arrêtées de nos esprits, de les mettre en perspectives et de relativiser.
Quelles qu’elles soient, lorsqu’elles envahissent trop nos pensées, l’odeur de la poudre n’est pas très loin.
Elles paraissent pourtant belles et louables, je pense à toutes nos idées, du communisme au culte de l’argent, du christianisme à l’islam, de l’écologie aux rites animistes.
Combien de gâchettes pressées, de coups abattus par des idées ?
En l’écrivant, je me rend bien compte que ce que je dis semble illusoire.
Nos ancêtres, depuis des centaines de générations, ont ils été moins sages, moins humains que nous aujourd’hui ?
Je ne le pense pas.
Et la violence a de beaux jours devant elle.
Essayer alors juste ce que nous pouvons pour ravaler les réactions agressives, la rancune et mettre à la place quand nous y arrivons un peu plus d’amour, d’écoute et de tolérance.