Sechura, ou le charme du désert

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Ah le désert …

Ses dunes romantiques à perte de vue sous le soleil couchant, ses caravanes de touaregs avec leurs dromadaires et leurs étoffes exotiques qui t’invitent à prendre le thé dans leur tente, au détour d’un mirage le Petit Prince qui te fait la conversation !

C’est un peu cet imaginaire que j’avais en tête avant d’entrer dans le désert de Sechura, au nord du Pérou.

Ah le désert de Sechura, sa poussière gris-jaune, ses péruviens avares de paroles, ses arbustes rachitiques courbés par le vent que tu as aussi en pleine face, ses sacs plastiques, ses bouteilles et couches jetables qui voyagent vers l’horizon au gré des bourrasques.

Une fois que tu as fait la photo marrante de la route en ligne droite à perte de vue avec rien à gauche et rien à droite, et bien tu te demandes un peu ce que tu fais là.

Une mauvaise idée la portion de 200 km entre Piura et Chiclayo ?

Comment sommes nous arrivés la ?

L’idée du voyage, c’était de faire un maximum les choses à vélo pour se déplacer, et puis parfois s’il y a une zone « ennuyeuse », au sens de dizaines et dizaines de kilomètres du même paysage monotone, on s’était dit qu’on prendrait sûrement un bus ou qu’on ferait du stop, on aurait peut être dû poser le joker à Sechura.

Au nord du Pérou, en traversant la frontière depuis l’Equateur, nous avions plus ou moins 3 grandes options :

  •  la route du Séchura au milieu du désert,
  • une autre route plus dans les terres, un peu plus longue mais peut être plus accueillante au pied de la cordillère (on ne saura jamais à quoi ça ressemble, mais si quelqu’un est passé par là on est preneur de son avis !),
  • ou bien de trouver un chemin dans la cordillère carrément.

Cette dernière option, on l’a écartée d’emblée en se disant que ça nous prendrait vraiment un temps énorme, et aussi parce qu’on voulait se ménager un peu, attaquer les montagnes avec plus de douceur et plus au sud vers Cajamarca ou vers la Cordillère Blanche.

Et donc, la route du désert ou la route au pied de la cordillère?

Finalement ce fut un peu sur un coup de tête, a Cuenca en Equateur on a rencontré un gars qui jouait du charango et qui nous a dit que le village de Catacaos à coté de Piura était le repère des artisans qui font les meilleurs charangos du Pérou. Comme j’avais très envie d’en trouver un, à changer contre mon ukulele, j’ai bassiné Irina avec ça et nous sommes parti en direction de Catacaos.

Il y avait aussi le très bon blog de Loïc Munaro, qui parle de ce coin là, en prévenant bien que c’était venteux mais sans non plus dramatiser le truc. Je crois que Loïc a beaucoup plus de caisse que nous.

Descendre jusqu’à Catacaos nous aura permis de toucher un peu du doigt la triste réalité des Péruviens qui bossent dans les plantations de bananes au nord de Piura et Sullana, et aussi de rencontrer PH et Coco mes compagnons de bateau-stop.

Sauf que Catacaos, c’était pas vraiment un « village » , je dirais plutôt une ville avec des ruelles pas toutes engageantes, pas non plus un village d’artisans et encore moins d’artisans de charangos. Il y avait juste une quantité énorme de boutiques vendant des babioles, sûrement pour la plupart importées de Chine, dans les deux boutiques qui vendaient des instruments de musique et où on a fini par atterrir à force de redirection des locaux, les vendeurs ne savaient même pas accorder les pauvres charangos en toc dans leur vitrine. Échec !

C’était aussi une des rares fois du voyage où on s’est fait refouler de partout pour poser la tente ou les tapis de sol : derrière la caserne des pompiers, niet, derrière le commissariat de la police niet, dans la cour du presbytère, niet.

C’était magistral, Irina a même dégainé l’arme fatale devant le prêtre qui nous disait gentiment de dégager : « Alors vous êtes de ceux qui ont fermé leur porte à Marie et Joseph ». Je n’aurais pas osé la comparaison, mais je crois que Cutu peut se le permettre, elle a reçu une éducation catholique complète, alors elle sait de quoi elle parle.

La nuit tombée, à la rue, à l’heure où ça commence à pas être une très bonne idée de traîner avec sa dégaine de gringo et ses vélos, on a dû se résoudre à finir dans une des auberges les plus crades du voyage avec PH et Coco. Ce fut le record de chasse aux cafards avant de dormir.

Mais c’était super de passer du temps avec PH et Coco, un heureux hasard que leur trip en stop rejoigne notre route à ce moment !

Et maintenant pour rejoindre Chiclayo nous voila face au Sechura, prêts à expérimenter notre premier « vrai » désert, curieux de ce qu’on va y découvrir et de ce qu’on va y vivre.

Au début ça commence pas trop mal : des petits villages sur le bord de la route, à moitié endormis sous le soleil, invitations à la sieste, des maisons avec des clôture en bois tressé et des fleurs d’un rouge éclatant sur le bleu du ciel, des stands de vente de miel artisanal, nous y avons même fait une photo qui deviendra une carte postale plus tard.

Et puis on a vite déchanté, le soleil a laissé place à la grisaille, à un ciel gris bas laiteux, mais où bizarrement il ne pleut pas, paradoxe de ce désert au bord du Pacifique.

Le Pacifique qu’on ne voit d’ailleurs même pas parce que la route coupe le désert en son milieu.

Les fleurs des maisons ont vite laissés la place à l’alignement des pylônes de la ligne haute tension qui longe la panaméricaine, de tant en tant une antenne relais téléphonique égaie le tableau. C’est fou d’ailleurs parfois tu l’aperçois déjà plus de 10 km avant de l’atteindre. Elle a l’air d’un cure dent alors qu’elle fait presque 30 m de haut.

Il y a par moment de jolies plantes grasses, aux teintes bordeaux qui tapissent le désert.

Ou ces craquelures dans le sol à perte de vue qui témoignent que de l’eau a coulé ici, il y a déjà longtemps, peut être après les pluies exceptionnelles d’El Niño.

Elles m’impressionnent beaucoup.

Parfois quelques dunes, isolées à l’horizon.

Mais la majorité du temps, des étendues, planes, poussiéreuses, et jonchées de déchets.

Nous avons passé 4 jours et 3 nuits dans le désert.

La 1ère nuit fut un carnage

Nous avons repéré sur la carte un relais routier, c’est notre objectif du jour.

On doit forcer un peu pour y arriver avant la nuit car le vent se durci en fin d’après-midi et surtout pas question de rouler sur la panaméricaine de nuit, avec le trafic de camions, c’est du suicide.

C’est un petit bâtiment au bord de la route peint en rouge avec le logo de Coca-Cola.

Un peu plus loin au bord de la route, une grande antenne téléphonique qui dresse sa carcasse métallique dans le ciel.

La propriété autour du bâtiment, un carré tracé dans l’immensité du désert, est délimitées par une haute clôture de fortune, faite de piquets de bois de tortueux et de lignes de fil barbelés serrées.

Ça a l’air un peu absurde une clôture dans cet univers.

D’un coté comme de l’autre, c’est le même sol nu et poussiéreux, à l’exception d’un arbre sur le coté du terrain étroit. Arbre qui va bientôt avoir la vedette dans le déroulement de notre soirée.

L’ambiance est glauque, les patrons ne sont pas très bavards, ils nous indiquent la poussière derrière la clôture, à coté de l’arbre, pour monter notre tente et acceptent de remplir nos poches a eau.

Pour le petit coin, ce n’est pas la place qui manque à l’extérieur dans le désert.

Nous ne nous plaignons pas et les remercions, grâce à eux, nous avons de l’eau fraîche.

Il y a une jeune fille, à peine vingt ans, qui fait le service dans le relais. Elle vient du Venezuela et elle engage la discussion avec nous. Ici elle s’ennuie sévère, il n’y a pas grand monde qui passe à part quelques routiers pour boire une bière et manger.

Elle nous laisse une étrange impression de malaise. Elle commence par nous expliquer qu’une touriste allemande à vélo a été écrasée par un camion il n’y a pas longtemps près d’ici, sans trop plus de détails.

Puis qu’elle aussi adore voyager et qu’elle a déjà fait beaucoup de vélo, au Venezuela, au Brésil et par ici. Mais dès qu’on s’intéresse à son voyage et qu’on lui pose plus de questions, elle reste vague. En fait, elle a l’air d’inventer tout ce qu’elle nous dit au fur et à mesure.

Entre les proprios peu loquaces et notre compagnonne de soirée mythomane, nous finissons par passer les vélos derrière la clôture et monter notre réchaud.

Ce soir on mange des pâtes à l’ail. Miam miam miam.

Et là, c’est le drame, on se met sous l’arbre proche du mur parce qu’on se dit qu’on sera mieux abrité du vent pour cuisiner et monter la tente ensuite.

Je coupe de l’ail dans la gamelle, et il y a un truc louche, des petits points noirs presque invisibles qui ont l’air de sauter dedans.

M***de ! Il y’en a aussi sur nos mollets.

Aïe ça pique ces trucs !

En passant sous l’arbre avec nos vélos et en sortant la cuisine, on vient de se faire coloniser par une nuée de puces. En même pas 5 minutes.

C’est la galère, elle se plantent dans la peau, remontent tout le corps jusqu’en haut du dos et pour les retirer il faut vraiment les pincer entre les ongles, pour les écraser c’est compliqué tellement elles sont petites.

On dégage les affaires vers la clôture, pour essayer de comprendre d’où elle viennent, si c’est de l’arbre, du sol … on se met a moitié nus et on commence à s’inspecter l’un l’autre à la frontale, à secouer nos affaires.

Il y’en a plein et elles continuent à nous grimper dessus.

Petit à petit, à force d’en écraser, on voit bien qu’elles viennent uniquement de l’arbre et qu’à distance, ce ne sont plus que celles qui ont attaqué nos affaires au début qui restent.

Pour Irina, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, je n’en mène pas bien large non plus.

Je continue à cuisiner, je monte la tente et Irina se réfugie dedans. On continue à s’inspecter dès que l’un de nous sent une piqûre, pour attraper et tuer la puce.

On passe franchement toute la soirée à en retirer de notre peau.

Même le lendemain matin on en trouve encore quelques unes.

Heureusement, elles n’ont rien pondu et on ne verra plus jamais la couleur de ces puces du désert.

Avec tout ça, on s’est couchés très tard et ça a été difficile de se lever tôt, pour rouler au heures calmes du matin, avant que ne se lève le vent de face infernal.

Leçon numéro 1, éviter les arbres.

La 2e nuit est une douce caresse réconfortante

On a roulé toute la journée, avec de plus en plus de vent contre. Sur la carte il y a le seul et unique croisement avec une autre route dans ce désert, avec apparemment un relais.

On redouble d’effort pour y arriver, avec le vent de face de la fin d’après midi on avance péniblement à 7 km/h. Franchement quand c’est comme ça, autant s’arrêter dès que c’est à peu près accueillant et attendre les heures plus clémentes du petit matin pour avancer. 200 km à 7 km/h c’est un peu déprimant.

Leçon numéro 2, se lever aux aurores.

Le relais est plus conséquent que la veille, une meilleure ambiance, il y a des tables et du café (de l’eau chaude et un pot en verre en libre service avec du nescafé dedans).

La proprio tient le lieux avec ses filles, elle ne parle pas beaucoup mais elle nous sourit, on lui demande si on peut dormir au fond de la salle du restaurant pour se protéger du vent.

Elle accepte, « quand je ferme le restaurant aux clients vous pouvez rentrer vos affaires. »

Nous discutons avec un couple qui fait une pause café, la soixantaine, très souriants. Ils roulent dans un pick-up vers Chiclayo, ils y seront facilement ce soir. Ils travaillent dans une clinique et sont passionnés d’histoire, ils nous recommandent le musée de Lambayeque, sur la civilisation Mochica et la tombe du seigneur de Sipan, ce sera le meilleur musée de tout notre périple.

La nuit tombe.

Il y a un homme qui rode autour du relais, la proprio dit qu’il est fou, que ça lui arrive de jeter des pierres sur le restaurant et le dégage sans ménagement, il l’insulte et vocifère en s’éloignant. Ambiance !

Il est en triste état en tout cas, où dort il ? Il y a toujours la même antenne téléphonique en retrait du relais et un appentis en parpaings nus au pied, peut-être là dedans.

Cet homme souffre sûrement de problèmes psychiques, mais il a aussi clairement le ventre vide. Je sors sur le parking et lui partage une pomme.

Nous cuisinons avec notre réchaud à l’extérieur, le mur du relais nous protège un peu du vent : du riz et du curry avec oignons et carottes dans mon souvenir, nous laissons une portion pour l’homme, que nous lui passons dans un sachet plastique, le riz ça cale.

Quelle dureté de voir quelqu’un en proie à la faim, la faim subie.

A l’heure de la fermeture, notre bienfaitrice nous fait le meilleur cadeau possible. Elle nous emmène dans la cour à l’arrière du restaurant, il y a des toilettes et une « douche » à l’extérieur, des poules, et sur la droite une pièce qui sert à stocker les boissons, avec un lit.

On n’en revient pas, des murs, un lit et pas besoin de monter la tente grâce à cette dame, qui ne parle pas beaucoup mais qui nous sourit.

Grâce a elle, nous dormons à l’abris du vent et nous pouvons décoller très tôt le lendemain. Quand le jour point sur l’horizon du désert de Sechura et que l’air est calme.

Là nous rencontrons un groupe de jeunes migrants vénézuéliens, perchés sur une remorque, en attendant que le camionneur qui les a embarqués fasse sa pause. Eux aussi doivent traverser le désert, direction Lima et des espoirs de vie meilleure.

Je me souviens que je me comporte assez mal, ils ont envie de discuter et moi je ne pense qu’au vent de face qui va se lever toujours trop tôt à mon goût et je ne veux pas traîner.

Ils nous offrent des galettes.

Un pack complet de petites galettes goût menthe et fraise, ceci a un sens particulier car ce sont les galettes qu’ils achètent puis essayent d’habitude de revendre sur le chemin pour gagner un peu de monnaie. Nous avons voulu leur laisser de l’argent en échange et ils ont refusé.

Même quand on est « pressés » par le vent, c’est mieux de respecter les rencontres que la vie nous amène.

La 3e nuit est sauvage

Plus trop de relais sur cette portion, nous chargeons de l’eau à la dernière maison antenne que nous passons et nous roulons jusqu’au coucher du soleil.

A cet endroit le désert offre des abris faciles d’accès pour bivouaquer.

Nous profitons d’une piste de maintenance de la ligne haute tension pour nous éloigner un peu de la panaméricaine et nous planquer dans le soir qui tombe.

Forcément nous montons le campement en fuyant comme la peste tout ce qui peut ressembler à un buisson.

On est bien là, protégés du vent par un talus, beaucoup mieux que dans la cour miteuse de la 1ère nuit.

Le 4e jour, nous approchons enfin de Lambayeque et de la sortie du désert, Irina souffre du genou, la lutte contre le vent a fait des dégâts.

Nous traversons une immense décharge à ciel ouvert.

En général, le désert est jonché de détritus, mais d’habitudes ils se cantonnent à proximité du cordon d’asphalte de la panaméricaine.

Ici ils recouvrent le sol, jusqu’à l’horizon.

Les gens et, vu la quantité, peut être aussi des camions des villes de Lambayeque et Chiclayo déposent les déchets sur le sol comme ça.

Et le vent du désert se charge de les disperser, aussi loin que peut porter la vue.

C’est un triste spectacle.

Peut être un jour les autorités de Chiclayo s’en occuperont.

Je n’ai pas envie de donner l’air de juger le Pérou, ça serait déplacé.

Au fond, en France, les gens jette certainement beaucoup plus de déchets plastiques qu’au Pérou, c’est juste qu’on les brûle dans l’atmosphère ou qu’on les enterre, bien à l’abri de la vue.

Ça me fait penser à l’océan aussi.

Et si on retirait le bouchon et qu’on vidait la baignoire, est ce que le fond serait comme le désert de Sechura ?

Qu’est ce qu’on espérait à traverser un désert à vélo ?

Un espace sans bornes, hors du temps, hors de l’inquiétude des hommes.

Des femmes et des hommes qui y vivent quand même.

Tester notre playlist « désert ».

Un défi pour nos cuisses.

Des surprises.

On aura été bien servis.

Maintenant on y réfléchira à deux fois avant de traîner nos vélos dans un désert, pour bien être sûrs de ce qu’on fait, parce que la condition physique n’est pas à négliger, le sens du vent aussi et que des déserts plus rudes que Sechura, il y en a à la pelle sur notre vaste planète.

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