Parfum d’eucalyptus

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J’adore le parfum des forêts d’eucalyptus dans l’air.

La première fois que je l’ai rencontré sur la route je m’en suis à peine rendu compte, j’ai même encore du mal à en être sûr, c’était près de San Juan de Pasto dans le sud de la Colombie, où bien déjà en Equateur près de Quito, je ne sais plus.

Peut être parce qu’il s’installe en douceur dans le paysage et peut être parce qu’il fait fond. Il ne s’impose pas comme le font certaines odeurs qui voyagent en nuages puissants. Les odeurs qui se font connaitre et déjà s’échappent comme l’odeur de la soupe avec sa petite pointe de coriandre qui diffuse par une fenêtre. Je glisse à travers elle en un instant sur mon vélo.

Avec l’eucalyptus c’est différent, il me semble puissant et discret en même temps. Il emplit l’air de toute la vallée à tel point qu’au bout d’un moment j’oublie sa présence. Sur ma selle je regarde les arbres, leurs bouquets de feuilles en hauteur et leur troncs avec les lambeaux d’écorces qui pendouillent. Ils donnent l’air qu’ils viennent de se déshabiller quand tu avais le dos tourné. Et c’est là que je me rend compte à nouveau que leur parfum baigne tout.

J’ai roulé sous ces arbres dans les vallées d’altitude des Andes de Colombie et d’Equateur quand je me rendais tout juste compte d’à qui j’avais à faire, là où ils côtoient les volcans.

Je les ai oubliés sur la côte pacifique où règnent à tour de rôle les forêts chaudes et humides, les embruns, les gaviotas, les plantations de bananes et de palmes. Puis je les ai encore oubliés dans le désert poussiéreux de la côte péruvienne, sous son ciel gris sans nuances, avec son vent qui chasse la joie des gens et ses sacs plastiques qui butinent les arbustes. C’est seulement quand le souffle s’est fait court qu’ils sont revenus. Il faut se faufiler dans le monde vertical des canyons et des falaises, monter vers les cactus, les oliviers, traverser les premiers potagers et les champs et puis là haut, à 3000 mètres d’altitude, leur parfum remplit l’air qui reste.

Ils deviennent mes grands potes, les copains des bivouacs à la fraîche, au bord des rivières, à s’endormir sous le bruissement de leurs feuilles dans l’air tranquille de la nuit. Les bivouacs où il n’y a plus de moustiques, ceux où tu te glisses au chaud dans ton duvet, quand il fait frais la nuit mais juste ce qu’il faut. Ils sont à Huaraz, ils sont à Cuzco et dans la vallée sacrée de feu les Incas.

Comme moi ils ne sont pas d’ici, pas du tout endémiques d’Amérique du Sud mais plutôt du genre à avoir débarqué un beau jour d’un bateau et à s’être senti vachement à leur aise sur la Pachamama. Aussi un peu comme ce qui est venu de loin ici, ils savent se montrer assez envahissants et égoïstes. Pas trop du genre à partager les richesses du sol avec les plantes du coin. Aux pieds de leurs troncs tout lisses, il n’y a pas grand chose qui pousse.

Et puis ils te laissent en plan quand ça monte à nouveau, quand ton cœur résonne dans les tempes et que ton sang accélère ses loopings vers tes jambes pour y apporter à bout de bras l’oxygène qui fait défaut dans l’air. Sur l’Altiplano, les eucalyptus ne sont pas cons, ils sont allés direct au meilleur spot, le spot où les couchers de soleil embrasent l’air et l’eau, où les chuletas ont l’air de petit bouddhas au nirvana quand elles se font leur pause pic-nic du midi dans les champs. Le spot où l’air humide fait du bien au feuilles et où la nuit est claire et profonde.

Les rives du Titicaca, qui ne sont pas sacrées pour rire. Les eucalyptus mélangent leur bruissement avec le clapot du lac.

Et puis le néant, l’absence, il doit leur manquer encore quelques millions d’années d’évolution pour glisser leurs racines dans le salar d’Uyuni ou au bord des lacs soufrés du Lipez ou dans le sol aride d’Atacama. Même entre les cactus de Salta ils te boudent.

C’est beaucoup plus loin à l’est qu’ils sont revenus, encore une fois comme ça, l’air de rien, sur les rives du Rio de la Plata et de l’océan Atlantique, en Uruguay. Ici aussi les bivouacs sont chantants, dans les parcs municipaux à coté des barbecue publics en brique ou en béton. Quand tu veux cuire tes chorizos de la boucherie artisanale, tu remarques que les eucalyptus ne laissent pas de branches cassées à leur pied, rien d’autre que leur épais tapis d’écorces, nada ! A moins que je ne me soit laissé abusé par un autre végétal local …

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