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Je suis à Bogotá, la ville est tentaculaire, immense, très différente de l’image que je m’étais inconsciemment construite avant d’y mettre le pied et j’aime bien quand c’est comme ça.
Je marche avec un groupe de touriste et Laura. Elle est guide et elle fait des tours à pied pour visiter le centre ville. C’est une façon de faire connaissance avec une ville qui me plait beaucoup, un petit groupe cosmopolite et une guide qui connait la ville et son histoire sur le bout des doigts. C’est bien rodé, de la balade, des arrêts explicatifs et une tournée de quelques magasins et bars, heureux partenaires.
Le rendez-vous est sur une petite place animée, il y a ce bref moment de flottement où les gens se cherchent du regard avant de repérer la guide et que naisse le groupe. Cette fois nous sommes Brésiliens, Espagnols, Français et Colombiens, Laura fait son tour en espagnol.
Je suis un peu distrait, Bogotá est minérale, un mélange de buildings mal assortis et de bâtiments plus anciens, encore un peu secoué par la pulsation qui règne ici, par la foule qui fonce dans certaines rues et qui me donne une impression étrange, un peu comme si les passants jouaient un jeu de qui va s’écarter en dernier pour ne pas se rentrer dedans, avec un nouveau défi tous les vingt mètres, presque à jouer des épaules. Pas le bon endroit pour rêvasser. Le ciel est fait de morceaux de bleu et de nuages métalliques, ceux qui ont l’air prêts à te larguer une averse à tout moment.
Elle nous emmène goûter de la Chicha à la sortie du quartier de la Candelaria, le quartier colonial espagnol où se concentre à peu près tout ce qui se fait d’auberges pour les touristes et qui se fond sur ses bords en ruelles vers le chaos de béton de la ville moderne. Des ruelles étroites, taguées et branchées où se croisent en se frottant les bogotanos bien sapés, les gens du quartier, de tous âges qui se boivent un tinto dans une boulangerie-cafétéria bien dans son jus, hors du temps, les yeux rivés sur un écran plat et des touristes plus ou moins assurés.
La chicha c’est une boisson de maïs fermenté, c’est la première fois que j’en bois et ce n’est pas la dernière parce qu’on la retrouve un peu partout dans les Andes, de la Colombie à la Bolivie. Comme toutes les premières fois avec les trucs fermentés, faut un peu se forcer pour finir son verre.
Les rues s’élargissent et les buildings nous entourent, froids, hauts, certains souffrant un peu du climat humide visiblement. Avant il y avait une rivière dans ce qui est maintenant une large avenue piétonne avec un filet d’eau canalisé au milieu qui s’attarde par moment dans des petits bassins, oeuvre surement signée par un grand architecte pas très copain avec les plantes. Il fait frais à Bogotá, c’est un peu l’automne permanent avec des Colombiens en parapluie et doudoune.
Nous descendons l’avenue qui débouche sur une place un peu plus large, avec des arrêts de bus.
Et puis une dame appelle à l’aide, elle est avec un monsieur, apparemment dans sa soixantaine qui vient de s’effondrer au sol. Il n’y a pas tant de monde dans la rue, Bogotá est vide car beaucoup de ses habitants se sont mis au vert pour la semaine sainte, mais un attroupement se forme vite. Parmi notre petit groupe de touristes et guide, une espagnole et son copain brésilien sont infirmiers.
Ils comprennent tout de suite ce qui se passe. Je ne me souviens plus de leurs prénoms, j’ai oublié de les écrire. L’homme est en train de faire un infarctus. Ils connaissent les gestes, défont sa chemise et commence un massage cardiaque. La femme qui l’accompagne a déjà appelé les secours et là tout le monde attend.
Très vite deux policiers qui patrouillent à pied dans la rue arrivent, des policiers colombiens avec leur uniforme vert kaki qui donne un style militaire. Sauf que leurs matraques et leur pistolets ne sont pas très utiles là maintenant. Un autre de groupe de policiers dans un pick-up s’arrête aussi. Puis un troisième. Et les minutes passent, longues minutes où le couple infirmier se relaie sur la poitrine de l’homme toujours inconscient.
Et moi je suis là, avec la guide et les autres touristes, tout aussi impuissant que les autres passants, tout aussi impuissant que les policiers.
Dans le centre de Bogotá, au pied des buildings modernes, près du petit canal de l’architecte qui n’aime pas trop les plantes, il y a des policiers, il y a beaucoup de policiers, mais il n’y a pas de médecins et il n’y a pas de défibrillateur. Alors l’eau du canal s’écoule et le temps s’écoule, un peu plus de vingt cinq minutes je crois quand déboule l’ambulance devant l’arrêt de bus.
Et il est trop tard.
En ressassant ces longues minutes dans ma tête plus tard, je me suis demandé ce que j’aurais pu faire. Ce qu’on se demande quand la vie nous balance quelque chose comme ça d’un coup à la figure et qu’après coup on se dit j’aurais pu dire ça, j’aurais pu faire ça. J’aurais pu courir vers les buildings environnant où il y avait peut être des boutiques, des bureaux et que sais je encore d’entreprise et peut être aussi quelque part là dedans un défibrillateur. J’aurais pu dire à tout le groupe d’essayer ça.
Bien plus tard, j’ai appris aussi qu’en France il existe une application si vous êtes formés au secourisme pour recevoir une notification en cas d’arrêt cardiaque près de chez vous, qui recense également la position des défibrillateurs des environs : https://sauvlife.fr/